Gustave FlaubertComme il faut essentiellement s’instruire en voyage, je me suis laissé mener à la manufacture de porcelaine de M. Johnston, dans laquelle nous avons été pilotés par un petit homme rempli de suffisance, d’ailleurs extrêmement poli pour nous. Pendant deux heures nous avons marché au milieu de cruches, tasses, pots, plats et assiettes de différentes grandeurs et je m’ennuyais si bien que je n’étais point dans la mienne. Je me sens au rebours des autres, est-ce de ma faute ? Mais je n’aime point à voir travailler et suer la pauvre humanité ; j’aime autant la voir dormir. Voilà un sentiment qu’un philanthrope ne comprendrait guère, j’imagine, mais ce n’est jamais sans être froissé que je vois piteusement entassés des enfants et des jeunes filles sous des vitres et dans une atmosphère lourde, tandis qu’à côté, derrière la muraille , s’étend la campagne, l’herbe verte, la forêt ombreuse, le lac si frais, le champ de vignes tout doré. On nous vante le bonheur matériel du monde moderne et la douceur de l’enchâssement social, et, reportant sur la passé un immense regard de pitié, nous faisons les capables et dans nos maisons bien fermées.(…)
Quand nous entrions dans les ateliers, on levait la tête pour voir les étrangers, quelques-uns la détournaient avec mépris vers M. Alexandre, les autres continuaient silencieusement ; on n’entendait que le bruit de la meule qui tournait et celui de l’argile clapotée dans l’eau. Est-ce que cela n’est pas triste que de voir ce travail morne et sérieux, cette machine composée d’hommes aller sans bruit, tant d’intelligences travailler sous le même niveau ? Il y a de beaux enfants du Midi, aux yeux noirs, au sourcil arqué, au teint cuivré et qui se courbent et qui pétrissent la glaise.