Quand je serai vieux (2/2)

Suite du post d’hier

« Quand je serai vieux… » Mais c’est maintenant ! Je l’étais, vieux, et depuis un bout de temps, à en croire l’état de liquéfaction de cette pauvre gueule. Je ne m’en étais pas aperçu. A quel moment exactement passe-t-on la ligne ? Le salarié sait : au moment précis où les collègues lèvent leur verre de mousseux en lui offrant la canne à pêche du départ à la retraite. Le P.-D.G. sait : au moment précis où il fait virer sur son compte personnel les millions d’euros marquant son départ vers d’autres fructueuses destinées. Moi, j’ai manqué de repères. Bon. Ne nous laissons pas abattre. Le moment est venu. Le « quand je serai vieux », c’est aujourd’hui. Le futur imprécis fait place au présent de l’indicatif, l’avenir radieux commence. Plongeons dans le tas de jolis projets réunis à aujourd’hui. Attaquons les rayonnages serrés de livres sublimes mis de côté pour cet heureux jour.

« Ouais ».  Seulement, la voix qui, naguère, disait « …pour quand je serai vieux » le dit toujours. Elle s’en fout, elle, du miroir la voix. Et des mains qui tremblent, et de l’essoufflement, et des rides dessinées par un cochon, et de l’hiver, et de 1’été. Et du printemps, tiens donc ! Elle dit « pour quand je serai vieux » comme elle l’a toujours dit. Elle me suggère de relire un Balzac déjà trente-deux fois lu plutôt que de ma risquer à entrebâiller la première page d’Ulysse ou de Belle du Seigneur, ces monstres de beauté. L’heure n’en est pas venue. Quand je serai vieux, promis juré, je m’y remettrai Ulysse, peste ! Je serais passé à côté d’Ulysse. Alors que je dévorerais par douzaines à la file ces San-Antonio dont je n’ai retenu que les monologues de l’immonde Bérurier faisant le commentaire en tranchant une concierge ? Oh mais, dès que je suis vieux, je m’y mets ! Et dans le texte original, ça me fera les pieds. Mais, pour l’instant, je vais m’envoyer pour la onzième fois les Travailleurs de la mer en alternant avec La Dante dans l’auto du cher Japrisot. Ca se complète au petit poil. Avec peur-être un zeste de Reine Margot et quelques pages des doigts de pieds de Berroyer. La culture, ce sera pour quand je serai vieux.

François Cavanna
Lune de miel
Gallimard
lune de miel