L’oppression du langage

Je m’étais toujours débattue contre l’oppression du langage ; à présent je me répétais la phrase de Barrès : « Pourquoi les mots, cette précision brutale qui maltraite nos complications ? ». Dès que j’ouvrais la bouche, je donnais barre sur moi, et on m’enfermait à nouveau dans ce monde dont j’avais mis des années à m’évader, où chaque chose a sans équivoque son nom, sa place, sa fonction, où la haine et l’amour, le mal et le bien sont aussi tranchés que le noir et le blanc, où d’avance tout est classé, catalogué, connu, compris et irrémédiablement jugé…

Mémoires d’une jeune fille rangée
Simone de Beauvoir
Folio