Les Africains les avaient baptisés « les peaux allumés » parce qu’ils avaient observé que les Européens devenaient tout rouges lorsqu’ils étaient contrariés.

Quelque temps après notre retour de Bougouni, le commandant de Courcelles, qui effectuait une tournée de recensement, passa à la maison. J’avais entendu dire que les Blancs-Blancs (comme on appelait les Européens par opposition aux Blancs-Noirs, ou Africains européanisés) étaient des « fils du feu » et que la clarté de leur peau étaient due à la présence en eux d’une braise ardente. Ne les appelait-on pas « les peaux allumés » ? Les Africains les avaient baptisés ainsi parce qu’ils avaient observé que les Européens devenaient tout rouges lorsqu’ils étaient contrariés ; mais moi, j’étais persuadé qu’ils brûlaient. Tenaillé par la curiosité, je demandai à Nassouni de me cacher derrière les pans de son grand boubou. Chacun défilait devant le commandant, qui inscrivait les noms sur un grand registre. Quand ce fut le tour de Nassouni, bien caché derrière elle, j’avançai tout doucement ma main droite sur le côté. Le plus légèrement que je pus, je posai le bout de mon index sur la main gauche du commandant qui reposait au bout de la table. Contrairement à mon attente, je ne ressentis aucune brûlure. J’en fus extrêmement déçu.

Amadou Hampâté Bâ
Amkoullel, l’enfant Peul
Mémoires
(Page 184)
Éditions BABEL
amkoullel l'enfant Peul