Paul FournelJ’ai fait des réserves de douleur. A l’entraînement, derrière le derny de Boucher, derrière la Mercedes de Janine, ou même devant, lorsqu’elle me pousse. A 60 à l’heure, je vais plus vite que la course, plus vite que moi. Je m’entraîne en douleur. Mes entraineurs n’ont pas le droit de ralentir, ils doivent me tirer dans des endroits de souffrance que je suis le seul à connaître. Même si je les supplie, ils ne doivent pas. Serrer les dents, tenir, ne jamais mettre les mains dans le dos. Le jour de la course, lorsque je me retrouve livré à moi-même et que je souffre comme un chien, je sais au fond de moi que je connais des douleurs plus terribles encore. Cela me donne une marge minuscule qui me permet de me faire plus mal que les autres coureurs. Plus la course est dure, plus j’éprouve la douleur des autres, et elle calme la mienne.
Anquetil tout seul
Pages 16 et 17
Seuil