Une sorte de merveilleuse absence de tout

Il rit. Elle adorait les petites rides qui se formaient autour de ses yeux, lorsqu’il riait. On disait évidemment qu’elle était amoureuse de son père. et qu’il était amoureux de sa fille. Cela faisait partie du bagage intellectuel du con moyen. Mais c’était beaucoup plus grave que ça. elle l’aimait comme on aime son enfant.

 » Tu sais, je regrette parfois que tu sois comme tu es. »

Il prît un air scandalisé.

« Jess !

– Oui, je regrette que tu ne sois pas un salaud. Nous aurions pu être si tranquilles. Et ma mère ne t’aurait pas quitté.

– Peut-être parviendrai-je un jour. Moi aussi, j’ai mes rêves de grandeur.

– Où en es-tu ?

– En plaine forme. Parfois je me réveille au milieu de la nuit, et je ne sens rien. Absolument rien. Un vrai triomphe. Une sorte de merveilleuse absence de tout. Bref, je peux dire que moi aussi, j’ai connu le bonheur. Ou bien, m’asseoir au bord du lac par une belle nuit sans lune, et n’éprouver rien. Oui, je crois que je suis guéri.

Adieu Gary Cooper
Romain Gary
Gallimard