Le pigeon. Sa vocation parasitique, son absence d’ambition, son inutilité crasse.

Le pigeon, pourtant.
Le pigeon couard, fourbe, sale, fade, sot, veule, vide, vil, vain.
Jamais émouvant, profondément inaffectif, le pigeon minable et sa voix stupide. Son picotage absurde. Son occiput décérébré qu’agite un navrant va-et-vient. Sa honteuse indécision, sa sexualité désolante. Sa vocation parasitique, son absence d’ambition, son inutilité crasse.

Incomparable au moineau qui détient du charme, au merle qui sait donner de la voix, au corbeau qui n’est pas sans classe, à la pie qui possède un style, pire qu’un charognard qui a au moins un but dans la vie, aussi sensuel qu’un rat, aussi racé qu’un taon, moins élégant qu’un ver, encore plus con que le catoblépas.

On tuerait un pigeon sans guère plus d’états d’âme qu’on écrase une blatte, il est cependant si nul qu’on s’en abstient. Par paresse ou par amou-propre, on se retient de lui donner un coup de pied sauf pour prendre un peu d’exercice et encore, il n’en est même pas digne, on ne voudrait pas risquer de souiller son soulier. Et qu’on ne m’objecte pas que, voyageur, il a rendu quelques services en temps de guerre, encore heureux qu’il ait trouvé un tout petit rôle de mécanique volante.

Saleté de pigeon, même pas bo à manger, écœurant sur son lit de petits pois farineux.

Des éclairs
Jean Echenoz
Les éditions de minuit
Jean Echenoz, des éclairs